Les Cendres
La cendre, devenue poussière, recouvre le sol de la vaste demeure consumée. Allongée, Bella s’éveille et ouvre les yeux.
Sa délicate silhouette se dessine, drapée d’un voile. Elle se lève et la mémoire lui revient. Des bribes resurgissent : le Royaume, intact, vibrant.
Elle porte encore ses vêtements de l’autre rive. Ils semblent immaculés, le gris des cendres les teinte d’un bleu irisé.
Alors affluent d’autres visions : la ville, de l’autre côté du miroir, aux portes ouvertes sur la mer. Bella perçoit les échos, qui franchissent les mondes.
On raconte que tout s’est effondré. Parmi ces murmures, des voix de femmes, celles qui fouillent les ruines et les décombres.
Les fragments d’or et les talismans intacts scintillent sur la soie de sa robe. Bella ne marche pas, elle semble danser.
La Pantoufle de Vair
Ses pas glissent sur le sol, résonnent et battent de manière irrégulière.
Le pied gauche nu marque une empreinte légère sur la pierre froide et soulève la poussière.
Le talon du pied droit claque, contenu dans une fine fourrure tachetée qui laisse la peau de Bella légèrement humide. C’est une pantoufle de vair, du ventre des petits écureuils.
Elle se demande où se trouve l’autre soulier. Sans doute, s’est-il perdu au seuil. Entre le visible et l’invisible. Digne, Bella retire la pantoufle orpheline et la presse contre sa poitrine. Des larmes mosaïques coulent sur ses joues.
La Plume
Une plume sombre comme une nuit d’été s’échappe du soulier. Une plume d’oiseau libre, fine et longue, qui valse dans l’air.
Traçant un sillage, elle entraîne Bella au cœur d’un artifice de lueurs vives et colorées.
Les nuances mouvantes se mêlent et fusionnent dans une danse incessante. Elles se tordent, se plient, se dissolvent en milliers de lucioles, emportant Bella dans le ciel-océan au parfum de poudre.
Le Bal
La pantoufle et la plume se sont évanouies. Une foule de visages encerclent Bella. Des bouches immenses, éclats de rire jaillissant, dévoilent des dents luisantes, ternies tels de vieux os.
Le tumulte se mue en musique. D’abord chaotique, puis en une mélodie qu’elle a bien connue.
Une voix d’homme, puissante s’élève. Bella sourit. La voix, de plus en plus proche, résonne en elle comme dans une grotte.
Dans le creux de sa main, une clef fine apparaît en lune naissante. Alors tout s’éclaire : la maison avant les cendres, le courage, la force, le passage.
Devenue halo de lumière, dans un ultime souffle du cœur, Bella se fond en chant. Les deux voix se rejoignent pour n’en devenir qu’une – ni femme, ni homme. Une voix d’ange. De l’autre côté du monde.